Dark Souls: Un jeu fondamentalement conservateur

14 avril 2021
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Dark Souls a la réputation d’être un jeu difficile où notre personnage meurt très souvent. M’étant plongé pour la première fois dans ce jeu récemment, je peux confirmer que cette réputation est bien méritée, mais au-delà de la difficulté, je suis tombé sur un jeu résolument conservateur.

Il faut d’abord comprendre l’évolution de l’industrie des jeux vidéos pour comprendre en quoi Dark Souls se démarque. Au cours des années 1990, les jeux s’adressaient aux adolescents qui pouvaient passer plusieurs heures devant leur écran et atteignaient rapidement un niveau d’habilité important. Les concepteurs créaient leurs jeux avec un niveau de difficulté élevé. Les jeunes de l’époque sont bons et comme ils ne contrôlent pas les cordons de la bourse à la maison, leur nombre de jeu est limité et ils doivent donc « en avoir pour leur argent ». Le jeu acheté à Noël sera peut-être le seul nouveau jeu du jeune de l’année. On doit donc lui donner l’équivalent d’un an de défis à surmonter.

Au cours des années 2000, deux grandes tendances viennent faciliter le niveau général des jeux vidéo. Dans un premier temps, les adolescents des années 1990 sont devenus adultes et entrent sur le marché du travail. Ils ont donc moins d’heures à consacrer à ce loisir et ils ont le budget pour acheter plusieurs nouveaux jeux à chaque année. Un concepteur de jeu est donc en compétition avec plusieurs concurrents pour capter l’attention du joueur et espérer lui vendre le deuxième opus de la série. Un jeu difficile est frustrant et le joueur changera pour un compétiteur lui offrant plus facilement sa dose d’endorphine.

Dans un deuxième temps, l’industrie développe des nouveaux marchés de joueurs n’ayant jamais joué aux jeux vidéo auparavant. L’adolescent garçon un peu « geek » des années 1990 n’est plus le seul public visé. Les adultes, les plus jeunes, les femmes, geek ou non… Tout le monde est désormais ciblé par certains aspects de l’univers de cette industrie. Et pour ces nouveaux publics n’ayant pas l’expérience des jeux, les concepteurs leur offre des jeux plus faciles où l’expérience de jeu, l’histoire, les graphiques, la bande sonore et le doublage sont les éléments qui passent au-dessus de la satisfaction de devenir très agile avec la manette.

À la fin des années 2000, l’univers du jeu vidéo est rendu au stade où les jeux sont des espèces d’histoires interactives où on doit peser quelques fois sur le bouton « attaque » sans trop de challenge pour passer au prochain chapitre. On évolue dans le jeu, mais non parce que notre personnage débloque de nouveau super pouvoir à utiliser simplement en pressant un bouton, pas plus que l’adversaire que nous affrontons sera vaincu à l’aide de l’objet découvert dans le niveau précédant, non. Surtout que souvent lorsque cela reste encore trop dur, vous pouvez vous contenter d’aller dans les options pour changer la difficulté à « facile ». Avec de tels jeux l’expérience prime sur le défi, pour le meilleur et pour le pire.

À cette époque, le marché du jeu vidéo avait complètement embrassé la notion d’égalité des résultats, où la fin du jeu doit être accessible à tous, même au plus petit dénominateur commun.

Dark Souls sort en 2012 et se positionne en cassure avec cette tendance dans l’industrie. Notre personnage se retrouve avec un minimum d’explication dans un monde très hostile où le moindre ennemi est potentiellement un danger mortel pour le personnage. Et il ne tardera pas à mourir.

Comdamné a réussir

La bonne nouvelle est que notre personnage est un mort-vivant qui se réincarne à chaque fois. Cela fait en sorte qu’on sait qu’à terme le personnage gagnera, car s’il meurt un million de fois on sait qu’il pourra toujours retenter sa quête la fois suivante jusqu’au moment où il réussira. La seule chose qui peut venir empêcher notre personnage de réussir est si nous, en tant que joueur, nous abandonnons et nous cessons de jouer. Le jeu offre une gloire garantie au vaillant, à celui qui travaille fort, à celui qui ne se décourage pas, à celui qui apprivoise la défaite et l’utilise pour en tirer des leçons.

C’est la fameuse dichotomie du « fixed mindset » vs le « growth mindset » qui se joue ici. Vous ne pourrez être bon à ce jeu a votre premier essai, mais si vous apprenez et maîtrisez les techniques, si vous apprenez les « patterns » des ennemies, vous deviendrez bons. Les défis insurmontables des premières heures deviendrons tranquillement des promenades dans le parc lorsque vous les revisiterez plus tard dans le jeu.

J’ai réussi car je suis devenu meilleur

Dans les jeux modernes, surtout dans les RPG (jeux de rôles). Notre personnage affronte des défis et il devient meilleur parce qu’il acquière de nouvelles compétences et aptitudes lui permettant de faire face aux dangers de plus en plus important qui s’opposent à lui.

Dark Souls vient briser le moule. Le personnage devient meilleur et trouve de nouveaux objets et armes l’aidant dans sa quête mais cet effet est beaucoup plus faible que dans la plupart des autres jeux. Ce qui rend le personnage meilleur en grande partie est le fait qu’en jouant nous apprenons et persévérons.

Lorsqu’on réussit à battre un boss après 5, 10, ou même 20 essais, le sentiment de satisfaction est fort, car nous avons conscience que nous n’avons pas vaincu le monstre parce que notre personnage est plus puissant, mais bien parce que nous avons nous-mêmes « grandi ».

Dark Souls ne donne pas de cadeau non mérité. Il ne subventionne pas notre réussite. Il se montre cependant très généreux envers l’excellence et le chemin pour l’atteindre. Il n’y a pas de promesse d’égalité des résultats ici. L’égalité des chances y est cependant sacrée. Il n’y a qu’un seul niveau de difficulté. On peut choisir parmi plusieurs classes au début du jeu, mais on se rend rapidement compte que ce choix n’a pas beaucoup d’incidence sur le jeu, car rien n’empêche de se spécialiser dans une technique ou une autre peu importe le choix de classe en début de parti.

Leçons pour un garçon

Je recommande le jeu à tous (sauf pour les plus jeunes, car le jeu est plutôt violent), car au-delà du jeu c’est également un défi de croissance personnel qui peut être bénéfique pour tous et chacun. J’ai cependant une pensée particulière pour les jeunes hommes sur le point de devenir adultes ou qui le sont depuis peu. Notre époque tente de rendre cette génération d’homme impuissante, voir même émasculé. On leur inculque la peur du risque et du courage, le caractère sacré de l’égalité pour tous à tout prix, la culpabilisation pour des crimes commis par des ancêtres ou des semblables. Alors que l’on encourage les filles de cette génération à explorer toutes les avenues sans se limiter à la tradition ou à la convention, bien peu d’efforts sont faits en ce sens auprès des garçons. Ceux-ci se découragent souvent au premier échec, car on ne leur a jamais appris qu’il y a du beau et du bon dans la poursuite de l’excellence. Au contraire, ils ont intégré que leur talent spécial, leur domaine d’excellence, leur passion, leur compétence unique peut venir à enlever la place au soleil de quelqu’un d’autre dans la société. Du rôle de pourvoyeur et protecteur de famille, l’homme est maintenant formé à ne pas faire de vague, à ne pas prendre de place, à disparaitre.

Un jeu comme Dark Souls n’est pas la recette miracle. Mais s’il peut faire réaliser à quelqu’un que le travail ardu est récompensé, que la défaite n’est pas une preuve d’incapacité, mais simplement une information et un outil de plus pour découvrir le chemin vers le succès, et que le perfectionnement est une vertu et non pas un vice, alors ça sera déjà un gain net pour notre société.

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